Robots chirurgiens, reconnaissance faciale, voitures autonomes… l’intelligence artificielle (IA) transforme notre quotidien à une vitesse vertigineuse. Face à cette révolution, le système éducatif québécois est en proie à des inquiétudes, entre autres pour la formation professionnelle. Entre craintes de disparition de certains métiers, mutation des compétences et adaptation des programmes, le secteur se retrouve à la croisée des chemins.
Alors, la formation professionnelle (FP) est-elle vraiment menacée par l’IA ? Tentons de démêler le vrai du faux.
L’IA bouleverse le monde du travail… et donc la FP
La révolution industrielle puis la révolution de l’automatisation ont rendu obsolètes plusieurs métiers; qui se souvient des allumeurs de réverbère du 19esiècle? Combien d’emplois en production ont-ils été remplacés par des équipements toujours plus sophistiqués ?
C’est maintenant par l’intelligence artificielle que nous automatisons des tâches toujours plus complexes. Avec l’apprentissage profond, ce sont désormais les métiers dits « cognitifs » ou techniques qui sont touchés. La conduite de véhicules, le traitement de données, l’inspection visuelle ou encore le diagnostic mécanique sont désormais réalisés plus rapidement, et parfois plus précisément, par des algorithmes que par des humains.
Cela ne laisse pas les formations professionnelles indemnes. Des métiers menacés ? Oui, mais pas ceux qu’on croit. En fait, on peut classer les métiers en trois catégories :
D’abord, dans certains métiers, plusieurs travailleurs seront graduellement remplacés par des applications de l’intelligence artificielle. Par exemple, les commis de bureau, les réviseur.es linguistiques, les technicien.nes juridiques, les archivistes, les réceptionnistes, certain.es vendeur.ses, etc.
Au contraire, d’autres emplois seront très peu affectés par l’intelligence artificielle au cours des prochaines quelques années : les pêcheur.ses, les coiffeur.ses, les plombier.ères, les préposé.es aux bénéficiaires, lesagent.es de protection de la faune, les travailleur.ses forestier.ères, etc.
Entre les deux, un grand nombre de professions seront appelées à utiliser l’intelligence artificielle, ce qui modifiera la nature de certaines tâches. Parmi celles-ci, les dessinateur.trices et les graphistes, les infirmier.ères, les soudeur.ses,les machinistes, les secrétaires, les mécanicien.nes, les électromécanicien.nes, et bien d'autres encore.
Tous ces emplois exigent des compétences relationnelles, physiques, pratiques, et souvent un jugement terrain difficile à coder dans une machine. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un métier est technique qu’il est automatiquement remplaçable. Bien souvent, l’IA vient en renfort plutôt qu’en substitution.
Au Québec, environ 120 000 élèves sont inscrits chaque année dans un programme de formation professionnelle. Ils se forment dans plus de 200 programmes, répartis dans 21 secteurs allant de la santé à l’électrotechnique. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean,51 diplômes d’études professionnelles (DEP), 10 attestations de spécialisation professionnelle (ASP) et une dizaine d’attestations d’études professionnelles (AEP)sont proposés.
Or, une majorité de ces programmes forment à des métiers où l’humain reste indispensable. Dans le rapport régional 2023, on apprend que 7 des 10 métiers les plus en demande nécessitent une formation professionnelle : soudeur, mécanicien d’équipement lourd, conducteur de camion, manœuvre en usine, etc.
De nouvelles compétences pour une nouvelle ère
Ce que l’IA bouleverse profondément, ce ne sont pas seulement les tâches, mais les compétences attendues.
La formation professionnelle ne peut plus se contenter de former à l’exécution répétitive de tâches standards. Elle doit préparer les élèves à interagir avec des outils technologiques complexes, à analyser des données, à faire preuve d’autonomie et d’adaptation. Autrement dit, l’accent doit être mis sur un ensemble de compétences : savoir manier une perceuse, oui, mais aussi comprendre un schéma numérique ou interpréter un code d’erreur généré par un logiciel.
Le rapport de planification 2023 du Saguenay–Lac-Saint-Jean le souligne clairement: « l’intégration des compétences numériques dans les programmes s’avère de plus en plus essentielle et la mise à jour de ceux-ci doit se faire en continu et plus rapidement ».
Certains programmes ont déjà pris ce virage. C’est le cas, par exemple, des DEP Usinage ou Soudage-assemblage où les robots et les machines à commande numérique nécessitent des connaissances en programmation. Ou encore du futur DEP en électromécanique, qui inclut l’apprentissage des systèmes automatisés qui de plus en plus seront dopés à l’IA. Le défi pour nos systèmes scolaires sera d’enseigner de solides compétences de base, de sensibiliser et d’enseigner aux futurs travailleurs comment actualiser leurs compétences.
Une menace réelle : l’immobilisme
Le vrai danger pour la FP n’est pas l’intelligence artificielle… c’est de ne pas s’y adapter. Les métiers changent. Les attentes des employeurs aussi. Et les apprenants plus jeunes, eux, arrivent souvent déjà familiers avec des technologies avancées.
La formation professionnelle doit donc se réinventer en continu pour rester pertinente. plusieurs pistes sont déjà explorées au Québec :
Des métiers d’avenir… avec un cœur humain
Malgré toutes les avancées de l’intelligence artificielle, certaines qualités humaines restent inimitables : l’empathie, le jugement, la coordination fine, la créativité. C’est pourquoi les métiers comme préposé.e aux bénéficiaires, éducateur.trice en services de garde, coiffeur.se, esthéticien.ne ne sont pas près de disparaître.
L’IA peut assister, mais pas remplacer, la richesse du lien humain ni la complexité de certaines situations concrètes. Un robot peut peut-être laver un plancher ou diagnostiquer une panne, mais il lui manque encore l’intuition, la capacité à improviser, et la sensibilité à l’environnement social et émotionnel.
Conclusion : la FP face à l’IA, un tournant crucial
Non, la formation professionnelle n’est pas condamnée par l’IA. Mais elle est indéniablement poussée à évoluer. C’est un moment charnière, un appel à l’innovation et à la collaboration.
En se connectant aux réalités du terrain, en intégrant les outils numériques, en adaptant les méthodes d’enseignement, la FP peut non seulement survivre, mais devenir une voie d’avenir pour toute une génération.
L’enjeu n’est donc pas de « sauver » la formation professionnelle. Il est de la faire grandir, avec l’IA comme alliée, pour former les artisans du monde de demain.